Le nuage et les douaniers

  • Personnages :
    3 politichiens (3 hommes ou 2 hommes et une femme)
    2 douaniers (des hommes, bien sûr, ou des femmes déguisées en homme)
    1 narratrice
    A part la narratrice, les personnages sont, évidemment, à traiter dans l’exagération généreuse (jeu, attitudes, costumes et décors)
  • Décors :
    1 salle à manger, avec une table très garnie en gastronomie Française et gourmande.
    Par exemple, préparer un faux décors fixé sur une planche (nappe, couverts, verres, victuailles, vin..) et y ajouter quelques accessoires utilisables par les acteurs (un poulet cuit enrichi à la crème, des boissons pour faire l’apéritif, le vin, le trou normand, le digestif..). Ce sera rapide à installer sur deux tréteaux.
    Ne pas hésiter à diffuser des odeurs de bouffe gastronomique.
    3 fauteuils confortables évoquant l’aristocratie et la haute bourgeoisie.
  • Propositions pour le jeu :
    Le texte de la narratrice se joue avec une élocution claire, assurée, tranquille
    Le premier politichien a une voix forte, présente et un peu aristocratique. Il parle avec autorité. Il s’écoute parler. (Pompidou)
    Le second politichien a une voix assurée, éloquente et diplomate. Il est dans la ruse et dans l’intellectualité. (Lacan ?)
    Le troisième politichien a une voix nasillarde, sifflante et hésitante. Il y a de la peur et du doute dans sa voix. (ou, actualisé, faire Sarkosy)
    Les deux douaniers, en caricature (sergent Garcia de Zorro), si possible en tenue, si possible en shorts (penser comedia del arte)

Narratrice :
« Un jour, quelques hommes, presque tout seuls, et qui savaient un grand danger, puisqu’une centrale avait sauté, se réunirent, presque tout seul, pour discuter, autour d’un thé, et de pt’its salés. »

Premier politichien :
« hem, hem, hem.. »

Narratrice :
« ..disait l’un.. »

Second politichien :
« hume, hume, hume.. »

Narratrice :
« ..disait l’second.. »

Troisième politichien :
« Hume pas trop ! .. »

Narratrice :
« ..disait l’troisième.. »

Troisième politichien :
« Humer c’est dangereux ..
..le réacteur a pété..
..l’incendie s’est déclaré..
..la fumée noire s’est échappée..
..partout l’air contaminé..
..on peut dire ça y’est, c’est fait :
Tchernobyl a sauté !!! »

Narratrice :
« Et il se tut. Et son silence était des mots lourds de sens. Et comme on l’écoutait, et bien, il poursuivit.. : »

Troisième politichien :
« Les Hommes ne sont pas près
à entendre des vérités !
A aucun prix ne doit rentrer
Dans notre beau pays
Des doutes sur la sûreté
De nos centrales chéries !! » ..

Premier politichien :
« C’est vrai ! »

Narratrice :
« ..dit le premier.. »

Premier politichien :
« Si les gens s’inquiétaient
De tout ce qui s’passait,
Nous n’serions pas élu..
Nous serions même déchus.. !
Ils n’savent pas qu’aujourd’hui
C’est juste l’Industrie,
La sûreté de nos monnaies,
La pension des rentiers »

Second politichien :
« Sans compter.. »

Narratrice :
« ..dit l’second.. »

Second politichien :
« .. qu’le pays n’tourne pas rond,
Qu’avec toute cet’éducation,
Certains s’mettent à penser,
Et disent qu’y’en a assez
Puis font grêves et marrons,
Et gênent notre pognon .. »

Premier politichien :
« C’est fou ! »

Narratrice :
« ..dit le premier.. »

Premier politichien :
« Qu’il y ait des entêtés
Pour préférer penser
A se laisser mener.
Qu’ils imitent donc les penseurs,
Qui s’arrêtent de penser,
Quand ce n’est pas l’heure,
Ou qu’on les y a prié !

Second politichien :
« N’en reste.. »

Narratrice :
« ..dit l’second.. »

Second politichien :
« .. qu’il faut bien trouver
Comment s’en dépêtrer !
La vérité ne vaut rien !
Pour l’religieux, y’a trop d’païens !
Caché.. : les gens vont l’trouver !
Et les journaux vont en parler !
Aussi.. et j’y ai bien penser :
Il faut minimiser !!!!
La solution, c’est les douaniers !
La solution, c’est les douaniers ! »

Narratrice :
« Et le ventre maintenant plein, de toutes sortes de mets, de faisans, d’sangliers, de saumons, d’sauces beurrées, de bisons, d’p’tits salés, de champagnes, de pâtés, d’saucissons, d’animaux empaillés,..
Ils trinquèrent, les vauriens, à leur bien belle idée : ce serait les douaniers !!
Et, en effet, le lendemain, lorsque la nuit était de brume et que le jour s’étirait, là haut sur les montagnes, sur les cimes de rocailles, guettaient deux hommes à l’oeil malin, deux petits hommes de rien, mais deux douaniers, ça c’est certain ! Eux sur le col, le dernier col Français, face à eux, gigantesque, le nuage se tenait. Et ce nuage immense, terrifiant, concentré, invincible, boursouflé, mortel et dense, distribuait ses baisers, empoisonnés, à des villes immenses, ou à des lieux isolés.
Mais les douaniers, fiers, firent preuve de vaillance, et d’un cri s’adressèrent, à l’ennemi en puissance.. »

Premier douanier :
« Nuage.. et oh.. du nuage..
.. regardez,.. regardez,..
C’est nous les douaniers.. !
Avez vous vos papiers ? »

Second douanier :
« Nuage.. et oh.. du nuage..
Faites pas comme si vous entendiez
Si vous n’avez pas d’papiers,
Vous n’pouvez pas rester ! »

Premier et second douanier :
« Nuage.. et oh.. du nuage..
Arrêtez.. arrêtez.. !
Si vous pensez passer,
Et bien vous vous trompez !
Nous sommes tout désigné
Pour vous en empêcher !! »

Narratrice :
« Le nuage, peu rassuré, et fort intimidé, par ces deux p’tits douaniers, et par leur pistolet, leur short, leur képi, et leur air ahuri, leur lunette, leur pastis, leur insigne de police, leur assurance porcine et leurs bajoues bovines. Et bien, le nuage, peu rassuré, et fort intimidé, prit ses jambes à son cou, fit du vent un allié.. et disparut d’un coup.
Le peuple était sauvé ! »

 

Sketch de Yao Martin, 1994

les enfants sont-ils morts ?

Elle : Il y a quelque chose que je dois encore te demander. Les enfants sont ils morts ? Les as-tu bien enterrés ? Je ne veux pas qu’ils traînent dans la nuit, n’importe ou. A la merci des dépouilleurs. Ils doivent avoir une adresse pour que l’on perpétue leurs souvenirs.

Lui : On n’a toujours pas de nouvelles. La police dit que c’est difficile de retrouver quelqu’un dans ce fatras

Elle : Promet moi de les chercher jusqu’à ce que tu les trouve. Promet le moi. Si ils sont vivants tues les. Ils ne doivent pas survivre à cette folie.

Lui : Je ne pourrai pas faire ce que tu me demandes

Elle : Tu le dois, il le faut. Le malheur aime à se répéter. Il se nourrit des familles éprouvées. Tes yeux doivent fouiller les décombres, les fourrés, le sommet des arbres, les cavernes, le creux des rochers, les ruines endeuillés. Nous devons savoir. Nous devons être sur.

Lui : Nous ne sommes surs de rien

Elle : Cherche partout jusqu’à ce que tes pieds soient usées d’avoir escaladé les montagnes, traversé les rivières et les déserts, piétiner les rues et les boulevards. Trouve les enfants, que leurs morts soient douces comme mon amour, qu’ils s’endorment comme s’ils allaient se réveiller demain. Racontes leurs les rires d’avant, les jeux sous la balançoire, le chien qui courre.

Lui : Je ne suis pas un criminel

Elle : Deviens le pour moi.

 

Bruno Jalabert
http://brunojalabert.over-blog.com/