Coprin chevelu

La femme blonde est assise sur un muret. Son pantalon est relevé, découvrant des jambes violacées, épaisses, suintantes. Elle les tamponne avec un mouchoir en papier. On suppose qu’une tache de pus s’étale sur le papier gaufré du kleenex. Elle l’observe. Longuement. Ses yeux maquillés de noir sont mouillés. A côté d’elle, deux énormes valises de marque Delsey. La femme semble attendre un taxi qui ne viendra jamais. En bordure de la nationale 7, à Villejuif.
 Ses vêtements sont propres, achetés autrefois dans les plus belles boutiques.
Sa tête échevelée. Comme si les extrémités trahissaient le désarroi, le pourrissement de tout son corps. Tête et pieds d’abord. 
Une jeune africaine se penche sur elle. 
 »J’ai vécu dans le seizième arrondissement, rue…
 Le hurlement des moteurs couvre le reste de la conversation.
 Un homme les croise, sacoche en bandoulière. Il jette un coup d’oeil à sa montre.
 Le soleil cogne. Il n’est pourtant que neuf heures trente. 
L’homme pénètre dans une tour aux vitres fumées, matériaux qui trahit la présence d’un système de climatisation. 
L’africaine est partie. La femme blonde attend son improbable taxi. Avec une certaine classe. Avant l’inéluctable déliquescence que connait le coprin chevelu, ce champignon blanc immaculé finissant par se dissoudre en un goudron noirâtre.

Léo-Paul Richard
http://leopaulrichard.over-blog.com

Sous la buée

 

Sur la buée du carreau
Je dessine avec le doigt
Un soleil, une maison
Un arbre et des oiseaux

Sur la buée du carreau
Je dessine avec le doigt
Un château, une princesse
Des fleurs et des enfants

Plus de buée sur la vitre
Se dessine au bout du doigt
Un clochard dans la rue
Il titube et s’affale
Sur le long trottoir
Qui fuit dans la nuit

 

Xavier Le Floch
http://xavierlefloch.blog.mongenie.com/

Sans titre

 

Apprend on aux enfants à surmonter le premier chagrin d’amour ? Leur dit-on combien est fragile leur âme au sortir des premiers émois déçus ? Que le coeur continue de battre de manière lancinante des années plus tard au souvenir d’un premier baiser, que l’âme inlassablement se repère en pointillés vers les errances de celui ou celle qui a emporté un bout de flamme, une allumette, un foyer miniature ?

Il faudrait préparer les pré-adolescents à ce moment ardu, ce passage forcé dans l’âge adulte où des parfums de trahison à la petite semaine vienne poser leur papier calque sur le décor. Et leur dire de passer outre, de ne point ancrer leur mémoire sur cette tache, cette fin prématurée qui fait office d’entracte dans un monde de Disney.

Car l’amour, à l’instar des plantes exotiques, nécessite parfois de semer bien des pépites dans un sol avant que n’éclose la passion rêvée.

 

Daniel Ichbiah, 2011
http://ichbiah.com